Rappeur & Beatmaker, Keizan est en résidence à Bizarre ! cet automne pour développer un nouveau projet. Il s'est prêté au jeu de l'interview des artistes en résidence et nous en dit un peu plus sur son univers musical. 
 

 

Peux-tu nous raconter tes débuts dans le Rap ?

 

J’ai commencé vers 14/15 ans sous le nom Samsara à faire un peu de rap, à écrire en particulier. Il y a 15 ans, on avait sorti un maxi EP 6 titres avec mon groupe Légitime Défense. On achetait les intru, on allait enregistrer chez quelqu’un, ça nous demandait un certain investissement. Ça m’intéressait beaucoup, donc je me suis mis à faire des instru. Dans le groupe on était 5 : un DJ et 4 rappeurs. On a commencé à faire des projets chacun de notre côté. J’ai eu un projet solo, un maxi 5 titres qui a été suivi par un album de 17 titres assez travaillé, on avait une distribution nationale avec 1500 exemplaires, des clips diffusés sur TLM TV et internet. Puis j’ai commencé le Hip Hop instrumental à partir de 2014 en tant que beatmaker sous le nom de Keizan. J’ai sorti 4 albums de Hip Hop instrumental. Le premier, sorti en 2014, s’appelle Uchronia, c’est peut-être celui qui a le mieux marché, il a été ressorti récemment en vinyle par un label allemand. Je pense que je suis arrivé pendant la vague de ce style sans vraiment le faire exprès. Je bossais mon truc et puis au moment où je l’ai sorti ça a un peu pris. C’est pour le projet de scène que je suis là maintenant, car je n’en ai jamais fait avant. Le premier album de Hip Hop instrumental c’était en 2014 et la première scène c’était peut-être en 2019. Je ne savais pas quoi faire, je ne voulais pas simplement appuyer sur « Play » et mettre trois effets. Ce que je fais, c’est que je tape tout. Je tape les batteries d’une main et les samples de l’autre. Au moins je ne me fais pas chier, et je ne suis pas remplaçable par un autre. J’aime pas trop le fait que si je donne mes sons à un gars, il appuie sur « play » et finalement il n’y a aucune valeur ajoutée.

Là il y a une vraie valeur ajoutée, c’est plus de boulot mais au moins je me fais plaisir. C’est addictif quand tu tapes sur des trucs, le temps passe super vite, j’ai pas envie de regarder ma montre pendant les sons en me disant « vite que ça se termine ».  

 

Comment définis-tu ton identité musicale ?

 

Hip Hop à fond. Même s’il y a des sons qui partent un peu dans des BPM plus éloignés. Mais ça reste toujours Hip Hop en fait, il y a toujours du sample. Beaucoup de samples de Jazz, de soul, pas mal de scratch, et les batteries qui sonnent très Hip Hop, qui cognent. Même si les BPM peuvent être plus rapides ou plus lents, il y’a toujours cette espèce de formule Hip Hop de grosse batterie et de samples un peu jazzy. Je pense que c’est ça un petit peu l’identité : Hip Hop Jazzy.

 

 

Comment en es-tu arrivé à franchir les portes de Bizarre ! ?

 

Je connais Bizarre ! depuis très longtemps. J’avais fait une résidence en 2012 pour l’album de rap La prophétie des Samples, celui qui a été distribué. Derrière, on a fait pas mal de concerts de rap et puis avant que l’album sorte, on était venus faire deux résidences à Bizarre ! Une avec un intervenant qui nous a accompagnés sur la présence scénique parce que j’en avais besoin. J’avais déjà fait des scènes avant mais on était 5 sur le plateau, là j’étais tout seul devant et j’avais mon pote en DJ derrière, il fallait occuper toute la scène du coup on avait une intervenante pour la présence scénique et c’était super intéressant. Ça nous ouvrait des champs qu’on ne voyait pas trop. Je rappais mes textes sur scène et c’est tout. Ça m’avait appris un peu à les vivre et à occuper l’espace quand on est tout seul ou sur une plus grande scène, et j’ai travaillé le jeu avec mon DJ. Parfois il venait sur le devant de la scène, il faisait les back aussi. Parfois je passais derrière à mon tour. Et la deuxième résidence qu’on avait faite c’était pour intégrer des machines, un peu comme ce que je fais aujourd’hui. Mais à ce moment-là, on en était encore qu’au début, on n’y connaissait pas grand-chose. Taper des samples sur scènes, c’était un bonus dans le set de rap, je passais deux fois derrière pour taper trois samples. Aujourd’hui sur mon set, je fais ça pendant une heure et je viens rapper deux morceaux. Ça inverse le truc. C'est un clin d’œil et ça dynamise le set, le rap amène un truc supplémentaire. Je ne peux pas tous les rapper parce que c’est pas le délire du set et ce sont des ambiances qui sont complètement différentes. En instrumental c’est assez groovy, assez funky. C’est joyeux on va dire !  En rap, c’est des trucs à se foutre en l’air ! Rires. Je vais pas mettre ça, je vais pas aller plomber l’ambiance. Comme on disait avec Jay (NDLR : Jay fait partie du Scratch Bandit Crew, qui a accompagné Keizan lors de sa résidence), tu ne vas pas faire un texte super conscient ou super triste alors que le ton est assez léger. Donc j’ai intégré deux morceaux de rap assez légers qui collent bien à l’ambiance.

 

 

Sur quels aspects de ton set travailles-tu lors de ta résidence ?       

 

On est allés dans le détail de ce que je pourrais améliorer dans chaque son, et on a aussi vu le filage entier. J’ai vraiment besoin d’un œil extérieur, de Jay qui a une plus grande expérience de la scène que moi. Il m’a apporté des conseils sur des trucs simples et évidents que je ne faisais pas. Mon set manque de lisibilité, je me faisais chier à faire plein de trucs techniques et compliqués que les gens ne comprennent pas. Comment leur faire comprendre sans le dire, sans leur faire un cours de MAO (NDLR : Musique Assistée par Ordinateur). Pour qu’ils comprennent par eux-mêmes avec des trucs amenés subtilement. Pour commencer le set, j’ai deux machines. Une ou je tape les samples et l’autre ou je mets les effets. Sauf que les deux se ressemblent, c’est deux trucs avec des pads et des potards sauf que je les ai assignés à différents trucs. Donc pour qu’ils comprennent dès le départ, je commence le set en tapant sur un pad que je répète sur une machine, et de l’autre côté j’ai l’autre machine dans la main où je mets un filtre. Comme ça le public appréhende plus facilement la fonction de chaque machine. Il y a aussi des sons où j’ai fait des instrus pour  des rappeurs où je balance l’a capella et je mets des effets sur l’instru. Ces sons là, j’avais envie de les passer parce qu’ils sont cools, mais je n’avais pas grand-chose à faire. Donc il s’agit de trouver comme meubler tout ça aussi. Sur certains morceaux je faisais tout, et sur d’autres je ne faisais rien. Il fallait trouver un équilibre et je pense qu’on y est arrivés sur ces morceaux là. J’arrive mieux à faire le ping pong entre les différentes machines. Les deux jours de résidence m’y font voir beaucoup plus clair.

       

Tu nous présentes ton équipe ?     

 

Je fais plein de collaborations avec des gens, mais sur mon projet de scène, je suis solo. J’avais pensé à un DJ, en plus j’ai mon meilleur pote et mon frère qui sont DJ mais ils n’ont pas le temps. Le projet, soit il décolle de fou et dans ce cas-là, ils me rejoignent, soit ça demande trop de boulot pour le peu de dates que ça pourrait générer, faut être un peu énervé pour travailler autant de temps sur un projet où il y aura peut-être très peu de dates en fait. C’est mon projet, j’ai envie de le faire, mais je ne vais pas leur demander ça à eux. Pour l’instant ça me parait un peu compliqué. Le but c’est de me produire en solo sur scène, avec mes machines. Peu importe la taille des scènes, avec ce projet je n’en ai pas fait beaucoup, donc je vais commencer tout en bas. On va dire que je recommence de tout en bas. Avec le rap on avait été un peu plus haut, c’était pas non plus la folie mais on a quand même fait l’Épicerie Moderne, des salles de cette taille-là. Avec mon projet actuel, je ne peux pas encore me le permettre. Je fais d’abord des petites scènes et après, quand je serais confiant, je pourrais peut-être taper plus haut si je vois que ça tourne bien.

 

 

Un mot sur tes projets en cours/à venir ?

 

Là j’ai un album de remix de rap US qui sort dans 2/3 semaines. J’ai pris des a capella et j’ai refait les instrus. J’ai un projet de collaboration de beatmaker, des sons Hip Hop instrumental, trip hop, abstract Hip Hop… Les projets que j’ai fait là et dont je ne sais même pas comment on appelle le style de musique. Rires. Le projet de base, c’était de faire des collab qu’avec des beatmakers de Lyon. Parce qu’il y a une scène de fou à ce niveau-là et puis pas mal de gars que je connais avec qui on a jamais fait de sons, donc c’est un peu dommage. Mais en fait ça traine tellement la grolle, que je veux un peu élargir le projet, je n’arrive pas à voir tout le monde, ça prend trop de temps. Je pense que je vais garder les collab que j’ai déjà faites, ajouter d’autres titres avec et sortir un album. J’ai un autre projet où je fais des instrus de rap et j’invite des rappeurs pour qu’ils posent dessus. C’est pas encore prêt, mais j’aimerais bien en faire une série. De faire des 6 titres où j’invite un rappeur par track et je sors les versions intrumentales avec, comme ça, ça rappelle la sortie des vinyles à l’époque avec les instrus d’un côté et les sons complets de l’autre. Comme ça, ceux qui veulent kicker les instrus ils peuvent aussi. J’aimerais bien que ça devienne un truc récurrent. Pour l’instant ça prend pas trop, les gens donnent la priorité à leur projet, ce que je comprends. Mais c’est chaud de motiver les foules pour faire une chanson entière sur un projet qui n’est pas le tien. Et c’est des rappeurs, donc quand il faut écrire 2/3 couplets, avec un refrain, ça prend beaucoup de temps. C’est vrai que quand ce n’est pas ton projet, ça demande de l’investissement.

 

 

Pourquoi avoir voulu orienter ton travail sur des instrus majoritairement sans texte alors qu’à la base tu rappes toi aussi ?

 

Faire des intrus me vient plus naturellement qu’écrire. Quand t’écris, tu as besoin d’avoir l’inspiration. Alors que là, vu qu’il y a des samples, c’est le sample qui te donne la direction et qui t’emmènes. Et puis faire une instru de rap, c’est facile. Enfin, ça dépend lesquelles, mais si tu fais une boucle de 4 mesures et tu rajoutes un pauvre truc au refrain, ça pourrait être plié en 30 minutes. Pas quand tu débutes, mais si tu t’améliores, ça va de plus en plus vite, et t’as envie de continuer à faire ton instru. Au final ça se remplit et tu finis par te dire qu’il n’y a plus la place pour mettre un rappeur là-dessus. Après j’en fais encore des instrus de rap, mais il y a aussi dans la sonorité, tu commences à bosser de la musique, et tu dis « ça, ça va faire une instru de rap », «ça, ça va plutôt être développé autrement ». Il y a des sons que tu fais qui ne sont pas très rappables, alors que sur d’autres, ça s’impose comme ça.

J’ai toujours envie de rapper, mais j’écris grave moins qu’avant. J’ai fait des featuring à droite à gauche. Après, le rap on l’a commencé en équipe aussi, il y avait toute une motivation. L’instru c’est plus un truc que tu fais en solo. J’aimais bien qu’on se voit tous les week-ends avec les potes pour écrire, on se donnait les avis, c’était motivant. Mais tout faire tout seul, ça me parait être un chantier assez monumental. Si je refais un projet de rap, ça sera avec d’autres gens.

 

 

Quelles-sont les conséquences de la crise sanitaire dans l’avancée de ton travail en tant qu’artiste ?

 

 

Ça ne change pas grand-chose pour moi. Il y a plein de choses que je peux continuer à faire, notamment les formations. Je donne des cours de MAO dans des MJC, ça je continue à distance par webcam. Et en tant qu’artiste à proprement parler, ça me libère plus de temps pour faire de la créa, vu qu’il y a des choses qui s’annulent. J’ai préparé le set live. Quand tout ça se sera débloqué, je serai d’attaque. Après tout le monde sera d’attaque alors faudra peut-être un peu attendre avant d’avoir une place sur scène. Sinon c’est cool, j’ai beaucoup d’activités de mixage et de mastering, et vu que tout le monde refait du son en ce moment avec le contexte actuel. Le premier confinement, je l’ai passé enfermé à bosser, à faire du mix et du mastering pour des gens, et à bosser sur mes propres sons. Niveau créativité, ça ne m’a pas trop chamboulé.

 

 

 

Quelle est ta plus grande influence musicale ?

 

Il y a pas mal de producteurs de rap qui m’ont influencé. DJ Premier, Pete Rock, Large Professor… Ça c’est toute l’école d’où je viens.  Bizarrement quand j’ai commencé dans le style que je fais aujourd’hui, je n’écoutais pas ce type de musique. J’ai commencé à l’écouter après avoir commencé à faire ça par moi-même. J’écoutais un peu Gramatik et RJD2, mais je ne sais pas si on peut dire que ce sont des influences. J’ai commencé à écouter après avoir commencé à composer dans ce style-là. Mes influences sont plus dans le rap, tous les américains comme NAS, Gang Starr, et en France Akhenaton, Rocé. J’avais fait sa première partie à la Tannerie (NDLR : Salle de musiques actuelles à Bourg en Bresse). Du coup j’étais bien refait de cette date. Pourtant ce n’est pas une superstar mais c’est un de mes rappeurs préférés. Il n’avait pas la grosse tête. Pour la petite anecdote, il y avait un petit groupe de gosses avant nous qui avait fait des ateliers d’écriture l’aprèm. C’est eux qui ouvraient le show avant la première partie. Et ils n’avaient personne pour faire le DJ, donc c’est Rocé qui leur a passé les instrus. Il a dit « bah moi je le fais, pas de problème ». Je trouve ça classe en fait, il y en a plein qui auraient dit « non non, je me montre pas avant d’arriver » tête d’affiche t’sais. C’est marrant.

 

 

 

Ta musique du moment ? / Le dernier son que tu as écouté

 

J’ai écouté pas mal de rap espagnol là. Il y avait un vénézuélien que j’ai bien rouillé qui s’appelle Lil Supa. D’ailleurs j’en ai chié pour trouver des bons rappeurs espagnols c’est fou. Rires. Celui que j’estimais être le meilleur jusque-là c’était Rocca. Il est franco-colombien. Je me disais « c’est pas possible que le seul rappeur qui rape bien en espagnol, ce soit un français ». Rires. À force de poncer, j’ai fini par en trouver plusieurs qui sont quand même bons, mais j’ai un peu plus galéré que dans les autres pays. Dans le rap italien il y a des très bons trucs. Le meilleur album de rap italien pour moi c’est 60 hertz de DJ Shocca. Lui c’est un beatmaker qui a un style proche de DJ Premier dont je parlais tout à l’heure. C’est un album de beatmaker, il a invité des rappeurs sur ses instrus et ça déchire.

 

 

 

La question de la fin (roulements de tambours...) :
À ton avis, il est comment le monde d'après ? 

 

Je pense que ça va galérer un petit peu avant de reprendre normalement.  Avec une petite crise au passage qui nous attend, qui est même déjà là d’ailleurs. Après ça, j’espère qu’on sera tranquilles !